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« Sur la Lune » – Mary Robinette KOWAL

Ça décolle quand, cette histoire ?

Sur Terre, la situation est critique : le climat se détériore inexorablement et les tensions politiques s’accroissent. Une coalition internationale espère envoyer le plus de gens possible sur Mars avant que la planète bleue ne devienne inhabitable, mais il est évident que tout le monde ne pourra pas partir. Les manifestations contre le projet de conquête spatiale virent à l’émeute et des tentatives de sabotage des fusées sont mises au jour. Le FBI craint désormais un attentat de grande ampleur visant la colonie lunaire, première étape vers Mars, ce qui condamnerait définitivement le programme spatial. Nicole Wargin, l’une des premières femmes astronautes, amie d’Elma York, se voit confier une mission en urgence pour le déjouer sur place. Malheureusement, le moment est plutôt mal choisi pour quitter la Terre : son mari, gouverneur du Kansas, envisage de se lancer dans la course à la nouvelle Maison-Blanche. Alors qu’Elma est à mi-chemin de Mars, si Nicole échoue, la survie de l’humanité pourrait être compromise.

Troisième tome de la série Lady Astronaute, Sur la Lune se déroule en parallèle au tome 2, Vers Mars, et il est clairement le meilleur du cycle à ce jour, en grande partie parce qu’il suit Nicole Wargin, une des protagonistes des précédents romans.

La première partie de l’histoire se déroule au Kansas, où on peut enfin vivre les différents développements liés aux tensions sociales, politiques et raciales exacerbées par la chute du météore (voir Vers les étoiles), comblant ainsi un des manquements les plus flagrants des tomes précédents. Bien sûr, il ne faut pas être trop exigeant, l’approche de Kowal n’a pas changé, tous les bouleversements de la société ne sont vus que par le prisme des relations de couple des protagonistes principaux, dans ce cas-ci Nicole et son mari Kenneth, gouverneur du Kansas et candidat aux élections présidentielles.

De la même manière, Nicole Wargin est un personnage beaucoup plus intéressant et attachant qu’Elma York, l’héroïne des deux premiers tomes. Nicole est plus forte, plus subtile, plus maligne, et donc subit beaucoup moins les événements qu’Elma. Mais Kowal juge nécessaire de lui infliger une profonde et douloureuse anorexie, comme si toutes ses héroïnes devaient absolument développer des troubles psychopathologiques importants, comme une forme d’intériorisation des difficultés rencontrées par les femmes dans les sociétés occidentales de l’après-guerre. Ça n’était pas nécessaire du tout, ça n’apporte rien ni au récit ni au personnage, en plus de nous repasser les plats qui ont déjà servis pour Elma York.

La deuxième partie, la plus importante, se déroule dans la base lunaire, où on va vivre une espèce de thriller d’espionnage dans lequel les héros tentent de démasquer un saboteur. Ça n’est pas totalement déplaisant, même si on pourra regretter les incohérences et le manque de réalisme, les ellipses, les énormes trous dans l’intrigue, des situations et des personnages un peu trop caricaturaux, et un dénouement un peu facile. On s’ennuie, certes, mais moins que dans Vers Mars, c’est déjà ça.

Nominé pour le prix Hugo du meilleur roman en 2021, Sur la Lune brille surtout pour sa rigueur technique, Kowal ayant la bonne idée de s’entourer de véritables spécialistes pour tous les aspects scientifiques et technologiques de ses romans. Cela lui permet de créer un environnement parfois fascinant et toujours dépaysant. Dommage qu’il soit aussi vide d’émotions et de sense of wonder.

Mary Robinette Kowal : Sur la Lune – 2020

Originalité : 2/5. Un léger mieux par rapport à ses prédécesseurs.

Lisibilité : 3/5. Sans relief mais sans difficulté.

Diversité : 3/5. Le récit aborde enfin différents thèmes, même si ça reste très superficiel.

Modernité : 3/5. Pas impossible que certains chapitres trouvent bientôt une actualité plus visible.

Cohérence : 2/5. Des méchants insaisissables et des gentils fort peu réactifs pendant la plus grande partie du roman, avant que ça s’inverse totalement pour clôturer le récit. Les ficelles sont grosses.

Moyenne : 5.2/10.

A conseiller si vous avez apprécié les deux premiers tomes, évidemment.

« Vers Mars » – Mary Robinette KOWAL

Doublement réchauffé

Alors qu’une sonde robotisée se pose sur Mars, prélude à une première mission habitée vers la planète rouge, Elma York embarque à bord de la navette qui la ramènera sur Terre après une affectation de trois mois sur la Lune. Mais le retour ne se passe pas comme prévu : un groupe de terroristes appartenant au mouvement Earth First profite de l’atterrissage en catastrophe du vaisseau pour prendre l’ensemble des passagers en otage. Leurs revendications sont simples : l’arrêt de la conquête spatiale et la réaffectation du budget à la survie sur Terre. La Lady Astronaute parviendra-t-elle à leur faire entendre raison et, surtout, réalisera-t-elle son rêve : fouler, un jour, le sol martien ?

« Vers Mars », après un début intéressant, reprend rapidement les traces de son prédécesseur, « Vers les étoiles ». C’est-à-dire qu’il ne se passe pas grand chose.

Tout d’abord, l’uchronie ne sert toujours à rien ou presque. Tout au plus la chute de météore à laquelle on assiste dans les premières pages du tome précédent permet-elle d’avancer le programme spatial de quelques années, et de le placer dans le cadre d’une coopération internationale. Tous les éléments potentiellement intéressants sont traités de manière superficielle en toile de fond. L’absence de consensus sur la nécessité de quitter la Terre aurait pu donner lieu à des développements intéressants sur les débats scientifiques, la traduction politique des désaccords, la désinformation, la difficulté de convaincre la population d’un fait scientifique, les formes violentes de désobéissance civile et des dizaines d’autres aspects. Ici, rien, la question est évacuée en un paragraphe dans le premier tome, et dans le présent volume, il ne reste que quelques excités, vaguement terroristes, qui ne servent qu’à faire avancer un peu le récit quand on en a besoin. La prise d’otages au début du livre dure exactement 22 pages, c’est à peu près le seul moment où il se passe quelque chose? Cet épisode pourrait servir à développer les motivations des preneurs d’otage, les conséquences de la chute du météore sur les populations, la colère provoquée par le budget des expéditions spatiales, la défiance vis-à-vis des scientifiques, mais non, ces sujets sont à peine survolés et puis on reprend les thèmes habituels du premier tome.

En premier lieu, les affres psychologiques de l’héroïne, Elma York. Elma se sent coupable de tout, tout le temps. Elle a du mal à trouver sa place en tant que mathématicienne puis en tant qu’astronaute, dans ce monde si masculin. Elle a dû subir brimades, vexations, mépris, tout au long de sa carrière. Largement développé dans le premier tome, cet aspect est repris ici sans éclairage, dimension ou développement supplémentaires.

Elma est juive, ça semble important vu qu’elle le répète toutes les trois pages, quand elle ne parle pas en hébreu ou en yiddish. Selon elle, ça explique pourquoi elle se sent tout le temps coupable. Ah oui, quand elle est énervée ou inquiète, elle doit absolument cuisiner des tartes. On dirait Apollo 13 réalisé par Woody Allen.

Autre grand thème du livre, les discriminations. Déjà dans « Vers les étoiles », on était un peu surpris de voir qu’Elma semblait découvrir les discriminations raciales de l’Amérique des années 50. Dans Vers Mars, 5 ans plus tard, Elma tombe toujours des nues quand on lui montre des discriminations évidentes, toujours les mêmes, envers les mêmes personnes, dans les mêmes circonstances. Elma est très lente à la détente. Quant aux discriminations en question, navette spatiale en route vers Mars ou motel perdu en Alabama, même combat : les femmes à la cuisine et les Noirs au nettoyage des toilettes. Apparemment, il n’était pas possible de faire plus caricatural. Ah si, il y a aussi un Sud-Africain blanc qui veut des toilettes séparées pour les Noirs et les Blancs dans la navette spatiale et qui ne veut pas toucher la nourriture si un Noir a touché l’assiette avant.

Enfin, les péripéties liées au voyage vers Mars : une panne par-ci, un microbe par-là, certains ne survivront pas au voyage mais honnêtement, on n’est pas vraiment ému tant on a du mal à s’attacher aux personnages, à l’exception de Stetson Parker, qui gagne en subtilité dans ce second tome (et c’est bien le seul).

Bref, c’est plat, c’est mou, ce n’est pas vraiment mauvais mais on attend désespérément le sense of wonder, n’importe quoi, un mystère, de l’inconnu, quelque chose d’inattendu, du suspense, on ne demande pas un monolithe ou une base alien à l’arrivée sur Mars, ni même un paradoxe temporel lié à l’uchronie ou la disparition d’un membre d’équipage. À ce niveau d’ennui, même un message de John Lennon sur le téléscripteur ferait l’affaire.

Mary Robinette Kowal : Vers Mars – 2018

Originalité : 1/5. Le premier tome n’était déjà pas très original, que dire de celui-ci… À l’origine, ils ne formaient qu’un seul roman, divisé en deux par l’éditeur.

Lisibilité : 3/5. À ce niveau, ça reste agréable, même si on se demande pourquoi on nous inflige le texte original des messages codés entre Elma et son mari…

Diversité : 1/5. C’est loin, Mars. C’est long, comme voyage. Très long.

Modernité : 3/5. Beaucoup d’aspects auraient mérité un meilleur traitement, en faisant des parallèles évidents avec la crise climatique.

Cohérence : 2/5. Entre les personnages caricaturaux et les lieux communs de tous les road trips, c’est compliqué.

Moyenne : 4/10.

A conseiller si vous avez vraiment vraiment adoré le premier tome.

« Provenance » – Ann LECKIE

Navrant.

Ingray Aughskold veut libérer Pahlad Budrakim de la planète prison où il a été envoyé passer le reste de ses jours, pour le forcer à révéler où il a caché les vestiges garseddaïs dont le vol lui a valu sa condamnation. Elle entend confier les précieux vestiges à sa mère, Nétano Aughskold, pour assurer à cette dernière un avantage politique décisif et ainsi prouver à sa famille qu’elle est digne d’accéder, le jour venu, à la tête du clan. Mais ce faisant, Ingray va sans le savoir tirer le fil d’une conspiration interplanétaire qui dépasse de loin ses pauvres ambitions…

Provenance se déroule dans le même univers que Les Chroniques du Radch mais peut se lire indépendamment. Malheureusement, on en est très loin niveau qualité. Il n’y a vraiment pas grand chose à sauver ici : l’intrigue est totalement inintéressante, et de toute façon peu compréhensible, les personnages sont transparents (d’ailleurs l’auteure ne s’embête pas, ils ont tous des expressions énigmatiques et des esquisses de sourires mystérieux), aucune ambiance ne s’installe, aucun suspense non plus. Entre l’héroïne qui passe son temps à pleurer ou à essayer de retenir ses larmes, et les effets de surprise complètement ratés, on navigue au bout de l’ennui.

Par exemple, certains personnages refusent l’identification de genre, et ça pourrait devenir un élément intéressant de l’histoire. Sauf que non, ça n’y joue aucun rôle, à aucun moment, on ne sait jamais pourquoi certains protagonistes sont genrés et d’autres non. Mais par contre, ça donne une version d’écriture inclusive particulièrement éprouvante : « Si cette personne se déclare læ-mêmæ geckquæ, et que les Gecks l’acceptent, iæl peut sans doute être geckquæ ».

Autre exemple, la forme particulière d’emprisonnement appelée le Retrait Compassionnel pourrait apporter une dimension originale et remarquable, et l’héroïne décide d’ailleurs de consacrer une partie importante de sa carrière et peut-être de sa vie à le réformer. Qu’apprenons-nous sur le Retrait Compassionnel ? À peu près rien, cinq lignes pour dire que c’est pas bien. Bâclé, bâclé, bâclé.

La toile de fond géopolitique est tout aussi navrante, l’obsession des Hwaéens pour les vestiges semble d’autant plus stupide que tous ces vestiges sont faux et que personne ne semble s’en rendre compte. Les motivations des Omkems ne sont jamais vraiment explicitées, on ne comprend pas très bien ce que font les Gecks non plus, et on n’est pas aidés par le fait qu’ils s’expriment dans un langage incompréhensible. Et de toute façon, à la fin, les héros décident que tout ça, c’est quand même fort compliqué et que ça n’en vaut pas vraiment la peine, et qu’il vaut bien mieux retourner à sa vie tranquille de policier / marchand / fonctionnaire. Si même eux s’en foutent, comment le lecteur pourrait s’y intéresser ?

Le style volontairement sibyllin n’aide pas non plus à rendre la lecture agréable. On a parfois l’impression que l’auteure s’interdit d’utiliser certains mots (un gage ? un pari perdu ?), comme dans ces premières lignes : « Ingray savait qu’en tendant la main à un peu plus d’un mètre au-delà de ses genoux, elle rencontrerait une paroi lisse et dure ». Oui, Ingray est devant un écran, quoi. Pitié.

Il n’y a rien à sauver dans ce roman. Fuyez. Et ne vous laissez pas abuser par sa nomination au Hugo du meilleur roman en 2018.

Ann Leckie : Provenance – 2017

Originalité : 3/5. Bel effort.

Lisibilité : 2/5. Et c’est généreux.

Diversité : 2/5. Ennui.

Modernité : 2/5. ?

Cohérence : 1/5. Aucune.

Moyenne : 4/10.

A conseiller ? Non.

« Vers les étoiles » – Mary Robinette KOWAL

Du réchauffé, pas désagréable, mais réchauffé.

1952. Une météorite s’écrase au large de Washington, dévastant une grande partie de la côte Est des États-Unis et tuant la plupart des habitants dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Par chance, Elma York et son mari, Nathaniel, échappent au cataclysme et parviennent à rejoindre une base militaire.
Elma, génie mathématique et pilote pendant la Seconde Guerre mondiale, et Nathaniel, ingénieur spatial, tentent de convaincre les militaires que la météorite n’a pu être dirigée par les Russes. Mais, ce faisant, ils découvrent que la catastrophe va dérégler le climat de manière irréversible et entraîner, à terme, l’extinction de l’humanité.
Seule issue : l’espace. Une coalition internationale lance un programme spatial de grande envergure… inaccessible aux femmes. Elma compte pourtant bien y prendre part et devenir la première Lady Astronaute.

« Vers les étoiles » débute comme un roman catastrophe mais change très vite de direction. La chute de la météorite n’est finalement qu’un prétexte pour évoquer une accélération du programme spatial donnant naissance à une version internationale des programmes Gemini et Apollo avec quelques années d’avance. On suit les aléas du développement du vol orbital par les équipes scientifiques et militaires, à travers les yeux d’Elma. Celle-ci sera confronté au sexisme ordinaire de l’enfer des années 50, reléguant les femmes dans les tâches subalternes, et elle découvrira au passage la ségrégation raciale qui fait des Afro-Américains des citoyens de seconde zone (et donc la double peine des femmes noires).

Et voilà. C’est tout.

On se retrouve donc avec une évocation historique de la place des femmes dans les programmes d’exploration spatiale. Sujet certes intéressant mais vu et revu, lu et relu, maintes fois traité, et l’uchronie qui aurait pu apporter un angle d’approche original ne sert à rien, à part être le prétexte à quelques clins d’œil qui n’apportent rien au récit. Tous les aspects intéressants du contexte sont passés sous silence ou à peine mentionnés : comment évoluent les rapports de force géopolitiques avec la moitié des Etats-Unis ravagés, comment lutter contre l’incrédulité de la population face aux changements apocalyptiques qui s’annoncent, comment choisir entre la fuite vers l’espace et les tentatives de sauver la possibilité de vie humaine sur la planète, etc…

L’autre dimension qui forme le cœur du roman est la manière dont Elma a intégré le joug de la toute-puissance masculine sur la société américaine des années 50. Surdouée des mathématiques, pilote de chasse, elle est systématiquement écartée de toute possibilité de prendre part au programme spatial en tant qu’astronaute. Elle souffre aussi de crises d’angoisse provoquant nausées et vomissements dès qu’elle se retrouve au centre de l’attention en public. Elle va devoir lutter pour prendre sa place, et son histoire n’est pas sans intérêt, même si elle aurait pu être racontée dans le cadre d’un roman historique, nul besoin de faire s’écraser une météorite au large de Washington… Mais même vu sous cet angle, il manque la puissance d’évocation de la vie quotidienne qu’on retrouve chez Connie Willis, par exemple.

Le livre manque cruellement de rebondissements et de surprises, de quelque chose qui va enfin éveiller l’intérêt du lecteur. Au plus on avance dans les chapitres, au plus on sent bien qu’il ne va pas y avoir de bouleversements, même mineurs, et que le récit va se terminer en roue libre, exactement comme on se l’imagine. Même les dernières pages sont totalement prévisibles.

« Vers les étoiles » n’est certes pas un mauvais roman, mais il manque cruellement d’intérêt. Qu’il ait remporté à peu près tous les prix en 2019 (Hugo, Nebula, Locus, …) alors que La Fileuse d’Argent de Naomi Novik était en compétition est incompréhensible.

Mary Robinette Kowal : Vers les étoiles – 2018

Originalité : 2/5. Très peu d’éléments rendent ce récit un peu différent de tout ce qu’on a déjà vu ou lu sur le sujet.

Lisibilité : 4/5. L’écriture est très fluide, le style limpide.

Diversité : 2/5. On ne s’ennuie pas vraiment mais on n’est jamais vraiment surpris ni emballé non plus.

Modernité : 3/5. Un regard moderne sur une période qui avait bien besoin des luttes collectives et des bouleversements sociaux qui ont suivi…

Cohérence : 4/5. Un peu trop, peut-être. On cherche en vain le facteur X de cette histoire.

Moyenne : 6/10.

A conseiller si vous ne savez absolument rien de la place des femmes dans l’exploration spatiale, si vous n’avez jamais entendu parler des WASP ou des Rocket Girls, si vous n’avez jamais vu L’étoffe des héros, ou si vous n’avez jamais lu Les Figures de l’ombre (ou vu le film qui s’en est inspiré).

« Dragon déchu » – Peter F. HAMILTON

Un space opera moderne de très bonne facture mais non sans défauts

Au XXIVe siècle, à l’aide de la technologie des trous de vers, l’humanité a colonisé plusieurs dizaines de systèmes planétaires. Les voyages intersidéraux coûtant très chers, ceux-ci sont devenus le monopole de grandes compagnies. Mais ces compagnies ne retrouvant pas de bénéfice dans la colonisation, le commerce interstellaire étant pénalisé par les coûts prohibitifs des voyages, la colonisation est arrêtée et les compagnies procèdent à des opérations de « retour sur investissement », consistant en des expéditions militaires de pillage plus ou moins légal sur les planètes colonisées.

Connu pour ses sagas kilométriques, Peter F. Hamilton nous livre ici un roman de space opera indépendant, pas spécialement court non plus (un petit millier de pages quand même) et plutôt réussi.

La trame de fond du roman est intéressante, avec au centre la question du gouffre financier de l’exploration spatiale et de son rapport coûts / bénéfices. Et, même si le lecteur met (vraiment) beaucoup de temps à le comprendre, le roman est aussi une étude comparative des mérites respectifs des différentes approches civilisationnelles à l’échelle des espèces. En l’occurrence, il s’agit de voir comment une civilisation qui a généralisé le capitalisme actionnarial peut survivre et intégrer des avancées scientifiques et technologiques bien au-delà de son niveau actuel. Ça ne semble pas très enthousiasmant à première vue, mais Hamilton parvient à donner vie à son récit en se concentrant sur le cheminement de son personnage principal, et nous fait visiter de nombreuses planètes, qui sont autant d’occasions de découvrir des sociétés coloniales originales et des environnements exotiques. De nombreuses améliorations bio-techs, une faune extraterrestre parfois fascinante, et des affrontements géopolitiques et militaires permettent de construire un univers de space op cohérent et intéressant.

Le livre souffre pourtant de plusieurs défauts. Tout d’abord, il est inutilement long. On ne compte plus les passages ou les chapitres presque totalement superflus. La palme revenant aux septante pages du héros à Amsterdam puis en Ecosse, dont on se demande vraiment ce qu’elles font là (on se dit même qu’il s’agit d’une nouvelle de l’auteur, dont il ne savait que faire et qu’il a placé dans son roman en désespoir de cause, et pas une très bonne nouvelle en plus).

Ensuite, les considérations politiques ne volent quand même pas très haut. Les lieux communs s’enchaînent sur un ton très professoral, même dans les conversations enflammées de certains protagonistes, et on est plus dans une fable à la Asimov un peu lourdaude que dans une profession de foi truculente à la Heinlein ou une étude anthropologique de Iain Banks. Cela implique notamment une résolution des conflits assez décevante et un épilogue franchement navrant.

On reste aussi un peu déconcerté par ce que l’auteur essaye de nous dire à travers son histoire. Ses deux personnages principaux voient leurs vœux les plus chers se réaliser, notamment au moyen d’ellipses scénaristiques un peu faciles, mais au prix de la trahison de tous leurs alliés, amis, frères et sœurs. Cet individualisme forcené, qui tranche forcément sur les considérations socio-politiques qui émaillent le livre, est présenté de manière extrêmement positive et semble être le moteur naturel de tous les personnages, y compris les héros supposément sympathiques. D’ailleurs, toutes les relations interpersonnelles développées dans le roman sont fondées sur le mensonge, la tromperie et la manipulation (y compris la relation que le héros entretient avec lui-même, ce qui est quand même un comble). La fin (toujours absolument individuelle) justifie les moyens (y compris les plus détestables).

Et enfin, le dragon qui donne son titre au roman passe finalement un peu inaperçu et est très peu exploité. Apparaître après 800 pages n’aide pas non plus.

Oui, on est un peu déçu par le dragon déchu…

Peter F. Hamilton : Dragon déchu – 2001

Originalité : 4/5. Certes pas révolutionnaire mais on sent dans l’ensemble une approche très personnelle.

Lisibilité : 3/5. Le style est très agréable, même si parfois un peu lourd.

Diversité : 4/5. On ne s’ennuie pas malgré les longueurs et quelques passages sans beaucoup d’intérêt.

Modernité : 4/5. Hamilton n’est pas pour rien un des principaux représentants du space opera moderne.

Cohérence : 3/5. Fortement endommagée par des chapitres un peu décalés, une exposition à l’univers un peu poussive au début du roman et une fin un peu décevante.

Moyenne : 7.2/10.

A conseiller si vous aimez le space opera et les fables politiques.

« L’oreille interne » – Robert SILVERBERG

Les bonnes choses vieillissent mal, parfois.

David Selig, Juif new-yorkais d’une quarantaine d’années, se considère comme un raté. Il est pourtant télépathe et pourrait profiter de ce don pour faire fortune, conquérir – et garder ! – les plus belles femmes… Mais non, rien à faire, il estime être un monstre tout juste bon à faire le nègre sur des devoirs d’étudiants, incapable de réussir sa vie. La dernière preuve en date : ce talent qu’il déteste tant, mais qui est finalement son seul lien avec le reste de l’humanité, est en train de le quitter ! Apeuré à l’idée de se retrouver seul avec lui même, Selig nous conte sa misérable existence.

L’oreille interne est souvent considéré comme un des meilleurs romans de Robert Silverberg et un chef d’œuvre de l’histoire de la SF. Il faut néanmoins faire preuve de toutes les précautions d’usage pour les romans de SF écrits dans les années 70. Les thèmes abordés sont les obsessions habituelles de l’époque : sexe, drogue, anti-héros, introspection, … Ils ne sont pas dénués d’intérêt, mais on a beaucoup de mal aujourd’hui à s’intéresser aux angoisses et aux déboires de David Selig, loser pathétique, vaguement raciste et misogyne, égocentrique tournant en boucle autour de ses déboires amoureux, télépathe superficiel qui tente de se donner une profondeur d’esprit en se torturant le cervelet.

Le roman n’est pas dénué d’humour mais on est très loin de la légèreté débridée de En Terre étrangère, par exemple. Il n’est pas non plus dénué d’originalité, un télépathe aussi raté n’est pas banal, mais ça ne fait pas une histoire intéressante pour autant.

L’oreille interne (au titre original beaucoup plus évocateur de Dying Inside) a été nominé aux prix Nebula 1972 et Hugo 1973 du meilleur roman.

Robert Silverberg : L’oreille interne – 1972

Originalité : 4/5. Probablement la plus grande qualité du roman.

Lisibilité : 3/5. Marqué par le style de son époque, ça n’est pas désagréable mais assez vite ennuyeux.

Diversité : 2/5. On a l’impression d’avoir très vte compris où l’auteur veut en venir. Heureusement, le roman n’est pas très long.

Modernité : 2/5. Beaucoup trop marqué par les préoccupations de son époque pour être réellement intéressant aujourd’hui.

Cohérence : 3/5. Patchwork de styles différents et de flashbacks, mais on ne perd pas le fil du récit.

Moyenne : 5.6/10.

A conseiller si vous avez envie d’une petite friandise psycho-surannée.

« The Expanse, tome 9 : La Chute du Léviathan » – James S.A. COREY

Une belle conclusion

L’empire laconien est tombé, libérant les treize cents systèmes solaires de la domination de Winston Duarte. Mais l’ancien ennemi qui a tué les constructeurs de portes est réveillé et la guerre contre notre univers a recommencé.

La Chute du Léviathan est le dernier roman d’une série dont il condense toutes les qualités et tous les défauts. Une dimension supplémentaire s’impose ici puisque ce roman est le dénouement d’une saga longue de neuf livres pour un total de près de 6.000 pages. Le lecteur attend donc le dénouement des intrigues, les réponses aux mystères de l’univers, et la destinée des différents personnages.

Le résultat final, comme d’habitude, est très contrasté. Un univers intéressant, de bonnes idées, quelques personnages très réussis, des échanges et des situations qui tissent souvent une expérience de lecture agréable, une conclusion qui répond aux attentes, des moments très émouvants mais également des dénouements très prévisibles, une traduction et une édition bâclées, une qualité littéraire générale très discutable, un rythme très inégal (il faut attendre les 60 dernières pages du roman pour qu’on entre réellement dans le vif du sujet), et des moments très gênants de platitude : la conclusion d’un des personnages principaux, au terme d’une aventure de plusieurs décennies, est que les humains doivent apprendre à faire preuve de plus de gentillesse les uns envers les autres.

Il faut cependant souligner que les trois derniers tomes de la série sont probablement les meilleurs, et qu’ils relèvent nettement la qualité générale de l’ensemble. La Chute du Léviathan clôt la série d’une très belle manière, avec les quelques réserves qui accompagnent l’ensemble du cycle.

James S.A. Corey : La Chute du Léviathan – 2022

Originalité : 4/5. Même si elle est dans l’ensemble sans réelles surprises, cette conclusion reste captivante à plusieurs égards.

Lisibilité : 4/5. Dans la lignée des deux tomes précédents. Idem pour les catégories suivantes.

Diversité : 4/5.

Modernité : 3/5. 

Cohérence : 4/5. 

Moyenne : 7.6/10.

A conseiller si vous êtes fan des précédents…

« The Expanse, tome 8 : La Colère de Tiamat » – James S.A. COREY

Pourquoi le meilleur arrive-t-il si tard ?

Plusieurs années après les événements du Soulèvement de Persépolis. Laconia règne sur les 1300 systèmes des portails. Le Haut-Consul Duarte veut préparer l’humanité pour la confrontation avec ceux qui ont détruit les ingénieurs de la protomolécule, il y a plus d’un milliard d’années. Sa fille Teresa, quant à elle, se prépare à porter le fardeau que constitue l’ambition divine de son père. Mais avant cela, elle va devoir se protéger de bien des secrets au sein même de son palais. Et James Holden, qui y a été fait prisonnier, n’y sera qu’un danger de plus. Pendant ce temps-là, l’équipage du Rossinante, privé de son capitaine, mène un courageux combat d’arrière-garde. Les souvenirs de l’ancien ordre sem­blent désormais lointains. Et pour affronter les horreurs qui résident entre les mondes, la bravoure et l’ambition ne seront peut-être pas suffisantes…

La Colère de Tiamat est, de loin, le meilleur roman de la série. Tous les défauts de la série sont toujours présents, mais ses qualités les éclipsent brillamment. L’écriture manque de rythme, mais le récit est beaucoup plus vivant, les péripéties et les rebondissements se succèdent, l’action prend enfin toute son ampleur. Le roman mêle habilement intrigues de palais, stratégies de la Résistance face à un Empire galactique, batailles de croiseurs stellaires, et la recherche de réponses aux mystères posés par les concepteurs de la protomolécule et ceux qui les ont exterminés.

C’est passionnant, voire haletant par moments, et on a l’impression que la série entre enfin dans l’âge adulte : certains personnages principaux vont mourir, y compris parmi les gentils, et sans qu’ils soient atteints d’une maladie incurable ou de blessures fatales comme dans les tomes précédents, et si nous avons toujours droit au traditionnel méchant psychopathe qui va mal finir, il passe au second plan au profit de personnages beaucoup plus complexes.

Bien sûr, il y a toujours des incohérences et des ellipses, une traduction et une relecture affligeantes (on est très heureux d’apprendre qu’un personnage fait la grâce matinée). Mais avec cet avant-dernier tome, The Expanse devient enfin la série qu’elle aurait toujours dû être. Il est dommage que ça soit l’avant-dernier, justement.

James S.A. Corey : La Colère de Tiamat – 2019

Originalité : 4/5. Tout ce qui fait le caractère unique de la série prend enfin toute son ampleur.

Lisibilité : 4/5. Plus (+) de rythme, plus de vie, plus de plaisir.

Diversité : 4/5. Ça part dans tous les sens, pour le meilleur.

Modernité : 3/5. 

Cohérence : 4/5. En net progrès également.

Moyenne : 7.6/10.

A conseiller si vous êtes fan des précédents…

« The Expanse, tome 7 : Le Soulèvement de Persépolis » – James S.A. COREY

Vers un final très réussi

Presque trente ans après la fin de la guerre, l’humanité a retrouvé un semblant d’ordre et de stabilité. Mais Winston Duarte et sa flotte dissidente, jusque-là restés en sommeil dans le système Laconia, s’apprêtent à refaire surface, équipés d’une nouvelle et mystérieuse technologie bien supérieure à toutes les autres.

On connaît bien maintenant les qualités et les défauts de la série. Pour Le Soulèvement de Persépolis, le curseur est plutôt dans le positif. Il fait même partie des meilleurs tomes, pour plusieurs raisons. La menace de Laconia, tout d’abord, qui induit des changements profonds dans les rapports de force de l’univers de la série. Ensuite, d’autres bouleversements liés aux trajectoires des personnages principaux, avec Holden et Naomi qui décident dès les premiers chapitres de quitter le Rossinante pour prendre leur retraite. Enfin, un épilogue qui dévoile un énorme potentiel pour la suite (potentiel qui se vérifie dans le tome 8 pour qu’enfin la série devienne ce qu’elle aurait toujours dû être, mais c’est une autre histoire).

Bien sûr, les défauts habituels sont toujours présents, une traduction horrible, de gros problèmes de rythme, des personnages parfois complètement ratés (et le traditionnel psychopathe stupide comme grand méchant). De grosses longueurs pour tout ce qui concerne les activités de la Résistance sur la station Médina, qui rappellent l’époque funeste de La Porte d’Abaddon.

Mais dans l’ensemble, cet antépénultième chapitre se révèle très bon, et laisse espérer un final en apothéose.

James S.A. Corey : Le Soulèvement de Persépolis – 2017

Originalité : 4/5. Les auteurs parviennent à renouveler l’atmosphère de la série, une belle réussite.

Lisibilité : 3/5. Frustrant, comme d’habitude.

Diversité : 4/5. D’un côté la guerre dans le système Sol, de l’autre la résistance sur la station. Quelques aperçus de Laconia aussi.

Modernité : 3/5. Dans la lignée des tomes précédents.

Cohérence : 4/5. Moins de décisions incompréhensibles, moins d’ellipses et de trous dans l’histoire.

Moyenne : 7.2/10.

A conseiller si vous êtes fan des précédents…

« The Expanse, tome 6 : Les Cendres de Babylone » – James S.A. COREY

Mi-figue, mi-raisin

La Flotte libre – un groupe de Ceinturiens versé dans le trafic de vaisseaux militaires – a fait subir des revers à la Terre et mène une violente campagne de piraterie au sein des planètes extérieures contre les vaisseaux colons. James Holden et son équipage connaissent les forces et les faiblesses de cette armée mieux que personne. Dépassés en nombre et sous-armés, les restes des anciennes forces politiques font appel au Rossinante pour mener la mission de la dernière chance.

Les Cendres de Babylone synthétise à la perfection les qualités et les défauts de cette série. D’un côté, on a un univers complexe, fascinant par moments, des luttes politiques et militaires, plusieurs personnages très réussis, de l’action et des rebondissements, et enfin un épilogue haletant et qui donne très envie de lire la suite. D’un autre côté, toujours les mêmes problèmes de rythme (c’est trop long, trop lent), le méchant qui devient un psychopathe suicidaire et totalement idiot, des invraisemblances à foison, les motivations de certaines personnages très obscures, les désormais classiques raccourcis et ellipses, des erreurs de traduction et des fautes de grammaire et d’orthographe toujours aussi nombreuses.

Loin d’être le moins bon roman de la série, Les Cendres de Babylone reste malgré tout une déception après un très bon cinquième tome. Série très inégale, constitué de romans eux-mêmes très contrastés, The Expanse n’en finit pas de souffler le chaud et le froid, sans jamais enthousiasmer outre mesure mais en donnant toujours envie de lire le tome suivant. Plus que trois…

James S.A. Corey : Les Cendres de Babylone – 2016

Originalité : 4/5. La série continue de s’affranchir de ses multiples « emprunts » passés et se concentre sur ce qui fait son originalité : la combinaison de space opera, de thriller politique, de sagas familiales et d’action militaire.

Lisibilité : 3/5. Très long, un nombre de points de vue différents très élevé, et toujours ces longueurs atroces.

Diversité : 4/5. Le bon côté de la multiplication des points de vue…

Modernité : 3/5. Les réflexions intéressantes se poursuivent sur les mêmes thèmes que dans le tome précédent.

Cohérence : 3/5. Un univers très cohérent et bien pensé, mais des histoires ruinées par des méchants pathétiques à tous les niveaux.

Moyenne : 6.8/10.

A conseiller si vous êtes fan des précédents…